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Musique et stimulations électriques

PUBLIÉ LE : 21 juin 2018

Catégorie(s) : Vu sur le web Thématique(s) : Vie étudiante
« 16, Place Vendôme » est une recherche arts et sciences initiée par Mael Le Mée en collaboration scientifique avec Etienne Guillaud.
Musique et stimulations électriques

Cette recherche vise à stimuler électriquement les nerfs et les muscles du corps humain afin d’y produire des mouvements et des sensations inédites.

Maël Le Mée nous confie que «  [ce projet est] dans la logique de mon travail sur le trio désirs/corps/technologies.

J’avais commencé à explorer l’électrostimulation neuromusculaire avec les moyens du bord dans quelques performances, suffisamment pour envisager des potentiels inédits à cette technologie d’origine médicale.

Je souhaitais passer à l’étape suivante, engager une véritable recherche, avec des moyens scientifiques, et jouer très sérieusement à inventer un biomédia. »

Et concrètement ?

Depuis longtemps l’électrostimulation est utilisée en médecine pour le traitement des douleurs chroniques, en kinésithérapie pour la rééducation et en sport pour l’entraînement musculaire.

Des électrodes collées sur la peau envoient des signaux électriques aux nerfs et aux muscles situés en dessous pour les mobiliser ou « détourner leur attention ».

Les boitiers existants envoient des signaux dédiés à ces pratiques.

La résidence « 16, Place Vendôme », elle, vise à détourner cette technologie pour envoyer toutes sortes d’autres signaux électriques, c’est à dire d’en faire un média pour provoquer dans la chair même des utilisateurs des sensations et du sens inédits.

« Nous travaillons à partir de logiciels de traitement sonore pour produire ces signaux.

Nous pouvons ainsi « envoyer » de la musique dans un bras, ou encore des enregistrements de moelle épinière de grenouille et de rat en train de marcher dans une jambe. » explique Mael Le Mée.

Par qui ?

Déposé en octobre 2016, le projet « 16, Place Vendôme » a été sélectionné dans le cadre de l’appel à projets « Mouvements » du programme « Arts et Sciences » de l’IdEx Bordeaux courant 2017.

Les membres principaux composant le projet sont :

  • Maël Le Mée : artiste, il développe une pratique « transmédiale » depuis 2003.
    « Cela consiste principalement en des performances ou des installations, convoquant toutes sortes de moyens.
    Pour résumer, je m’intéresse aux rapports entre désir, corps et technologies.
    Mes travaux ont été présentés dans les champs de l’art contemporain, du spectacle vivant, de la culture scientifique et de l’urbanisme, du Palais de Tokyo à la Gaîté Lyrique en passant par le Musée d’Histoire des Sciences de Genève et la biennale Agora à Bordeaux. »
  • Etienne Guillaud : Ingénieur de recherche au CNRS, responsable de la plateforme d’Analyse du Mouvement au sein de l’Institut de Neuroscience Cognitives et Intégratives d’Aquitaine (INCIA), ses recherches portent sur la motricité humaine.
    Il cherche notamment à comprendre comment le système nerveux permet de marcher ou de tenir en équilibre.
    « Notre mission prioritaire est la recherche fondamentale qui occupe la majeure partie de notre temps.
    En parallèle, nous accompagnons la recherche clinique et le suivi de quelques patients dans le cadre d’une convention avec le CHU de Bordeaux, et nous interagissons aussi régulièrement avec le milieu industriel dans le cadre de R&D», rapporte Etienne Guillaud, présent dans le projet avec Emilie Doat, aussi membre de l’INCIA.
  • Benjamin Charles : musicien et artiste plasticien, aussi connu sous le pseudonyme de Michel Bananes Jr.
    « Mon travail artistique oscille entre des projets interdisciplinaires, associant la plupart du temps une dimension visuelle et sonore.
    Je produis également des œuvres sonores créées dans le cadre de projets d’art participatif sous la forme de livres-audio avec les éditions N’A QU’1 ŒIL.
    Et j’ai enfin une activité plus « classique » de musicien dans des groupes de musique (Scarlatti Goes Electro et LoS MUCHoS) », nous confie-t-il.
  • Isabelle Solas : vidéaste. « Elle est très concernée par la thématique du corps et de la remise en question de ses normes.
    Elle a une façon très plastique, très picturale, de composer ses cadres, et en même temps elle est toujours immergée avec ses sujets, et pour le film que nous comptons monter et qui retracera toute la résidence, c’est très important. », explique Mael Le Mée.

Tous envisagent déjà la poursuite des recherches en 2019.

Le rôle de chacun

Résolument transdisciplinaire, le projet « 16, Place Vendôme » met en collaboration les mondes scientifiques et artistiques.

« Etienne Guillaud a une longue expérience scientifique de l’électrostimulation avec du matériel de pointe.

C’est un grand bonheur de collaborer avec lui, parce que nous parvenons à bien jouer ensemble, on s’accorde même si on ne joue pas des mêmes « instruments », et j’ai l’impression que chacun bénéficie de la singularité de l’autre au travers d’une recherche commune.

C’est ce qui nous permet d’être à ce point de contact arts et sciences, et non pas dans de l’art qui utiliserait des choses scientifiques, ou inversement.

Il ne se contente pas d’apporter son expertise scientifique à la réalisation d’un projet artistique.

Nos expériences respectives de l’électrostimulation se conjuguent, elles font apparaître de nouvelles pistes de recherche ensemble, et nous collaborons pour les aboutir, chacun ayant ses propres raisons de le faire, raisons qui infusent un désir commun » se réjouit Mael Le Mée.

  • Pour Etienne Guillaud, le versant artistique « fait du bien, il est intéressant de se rappeler que l’utilité sociale de la recherche académique peut se matérialiser autrement que par les modes de transfert conventionnels».
  • Benjamin Charles, le musicien, fabrique les signaux sonores transformés en électricité et destinés à agir physiquement dans la chair. « Ici la composition n’est pas structurée par l’harmonie mais plutôt par le timbre sonore, les structures musicales sont abordées dans ce projet de façon scientifique, c’est-à-dire en étant totalement rationalisées, ce qui est à l’opposé d’un travail habituel de musicien-interprète. Ce qui est donc plaisant dans ce travail, c’est la déconstruction. » déclare Benjamin Charles.
  • « La vidéaste Isabelle Solas documente toute la résidence en la filmant, et fait partie intégrante de nos discussions autant que de nos expériences. » nous explique Maël Le Mée.

Socialement, la présentation du projet au Festival arts créativité technologies sciences (FACTS) de l’université de Bordeaux en novembre dernier a plu au public. Un autre évènement pourrait voir le jour sur le campus à la rentrée.

Un biomédia

« C’est devenu banal de mettre un walkman sur les oreilles pour se faire plaisir avec de la musique. », affirme Etienne Guillaud.

L’idée inhérente au projet est de produire un nouveau média qui « stimule une autre entrée sensorielle » afin de découvrir de nouvelles sensations.

« Il s’agit de voir si cette technologie issue de la médecine et actuellement appliquée dans des buts thérapeutiques et sportifs, peut être utilisée comme biomédia, c’est-à-dire un média incarné, capable de générer dans la chair même de ses utilisateurs des mouvements, des sensations, du sens, des émotions, grâce à de simples et inoffensives électrodes cutanées autocollantes, et à des signaux électriques spécialement créés. », explique Maël Le Mée.

Maël Le Mée nous confie que le biomédia est bien possible à partir de l’électrostimulation.

« Nous avons aussi réalisé à quel point les sensations électrostimulées pouvaient entrer en résonnance avec deux autres sens de l’expérimentateur : la vue et l’ouïe.

Nous comptons donc faire une nouvelle résidence pour creuser ces rapports synesthésiques, et combiner électrostimulation et réalité virtuelle.

Car plus qu’une expérience sensorielle localisée, l’électrostimulation comme nous l’envisageons désormais peut être considérée comme une technologie d’incarnation, et c’est ce que nous allons explorer : les effets d’incarnation inédits qu’elle peut générer. »

Et pour le public sourd et malentendant, ce système à base d’électrostimulation permettrait-il de percevoir de la musique et des sons ?

« Il donne effectivement une sorte de traduction neuromusculaire du son et de la musique.

Mais c’est surtout une sensation rythmique, et en aucun cas mélodique, en tout cas pas au sens où l’oreille peut l’interpréter, tempère Mael Le Mée.

Mais si l’électrostimulation ne peut pas se substituer à des sens existants ou absents, elle ouvre belle et bien une nouvelle voie sensorielle dont tous pourraient profiter. A suivre… »

Et vous, aimeriez-vous vivre une expérience similaire?

16 Place Vendôme/Résidence#1 from Dorsa Barlow on Vimeo.

ML/LF

Merci à Etienne Guillaud, Maël Le Mée et Benjamin Charles pour leur participation.

  • Isabelle Solas et Frédéric Desmesure
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